25/08/2008

La Chinafrique


La Chinafrique par Serge Michel, Michel Beuret et Paolo Woods (photos)
éd. Grasset, 2008, 352 p., plus deux encarts de photos, 19,50 euros.


La photo de couverture nous met dans l'ambiance. Un soldat congolais, au garde-à-vous, abrite du soleil un Chinois devant le chantier dont il est responsable, de somptueuses villas à l'occidentale - "les salles de bain sont épatantes", écrivent les auteurs - destinées aux privilégiés du régime. Contrepartie, le livre nous l'apprend, de gigantesques concessions chinoises d'abattage des arbres d'une des dernières forêts primaires du monde, au sein même du parc national parfois.

Anecdote ? Certes. Mais révélatrice de cette Chinafrique que nous content, par le texte ou les photos, les trois auteurs au terme de leurs voyages dans dix-sept pays africains (de l'Algérie à l'Afrique du Sud). Pour eux, la Chine a une stratégie claire sur le continent noir: assurer ses approvisionnements en matières premières. Pour cela, elle paye cash, largement, officiellement ou en dessous-de-table, mais aussi en hommes, en chantiers pharaoniques, en armes..., tout ce qui peut convaincre ceux qui détiennent le pouvoir sur ces richesses de la nature à ouvrir leurs portes.

L'argent coule à flots, les hommes d'affaires chinois prospèrent, en versant les pots-de-vin nécessaires et en exploitant les travailleurs aussi férocement que possible. Mêlant ainsi stratégie publique, intérêts privés, cynisme politique et efficacité économique, la Chine a trouvé le remède miracle pour faire de l'Afrique son Eldorado, des dirigeants africains ses complices, et des peuples africains ses clients et parfois ses prolétaires: business as usual, les affaires sont les affaires, n'y mêlons surtout pas les droits de l'homme. Les usines tournent, les maisons poussent, les autoroutes s'allongent. Les Chinois sont efficaces, les dirigeants corrompus et les Africains partagés entre rancoeur, méfiance et intérêt.

Exploitation à grande échelle. Cette Chinafrique n'est au fond qu'un nouvel avatar d'une histoire vieille de deux siècles, voire davantage, que l'on a appelé colonialisme, puis néocolonialisme, puis pillage du tiers monde et que l'on nomme aujourd'hui développement. Comme si la soif du lucre pouvait bâtir une société cohérente, comme si l'exploitation à grande échelle de ressources non renouvelables pouvait bâtir une société durable. Les auteurs nous font d'ailleurs part de leur doute: la Chine, en Afrique, "commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s'enlisent, ses scandales de corruption et, quoiqu'elle en dise, son mépris, parfois, pour la population locale".

Les Africains ne vont-ils pas finir par comprendre que, assis sur la plus grande source de matières premières du monde, ils n'ont pas intérêt à la brader ? Et que leur problème n'est pas celui de la mise en valeur, mais celui d'Etats devenus propriété privée de prédateurs?
Denis Clerc

Alternatives Economiques - n°271 - Juillet 2008

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