06/10/2010

La France peut-elle se passer de l'uranium nigérien ?


7 octobre 2010
Quel est le degré de dépendance d'Areva et d'EDF ? La population locale profite-t-elle des revenus ?
Le Niger exporte de l'uranium vers la France depuis 1971. 













WILLIAM DANIELS/ABACAPRESS.COM
L'enlèvement de cinq Français, d'un Togolais et d'un Malgache au Niger, dans la nuit du 15 au 16 septembre, n'a pas seulement suscité l'émotion et l'inquiétude : l'opération militaire menée par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a aussi révélé l'importance de cette ancienne colonie pour la France. Le groupe nucléaire Areva y produit une partie de l'uranium nécessaire au fonctionnement des 58 réacteurs d'EDF et en livre à d'autres électriciens dans le monde. Quelles que soient les exigences d'AQMI - y compris un départ d'Areva du Niger -, il est exclu que l'entreprise renonce à un pays aussi stratégique.
Diversification des sources d'approvisionnement La Cogema y a découvert de l'uranium au début des années 1960 et la Somaïr a commencé à l'exploiter en 1971, avant de mettre la mine de Cominak en service, en 1978. Le Niger est important pour Areva à court terme, puisqu'il y extrait près de 40 % de sa production mondiale. Important, mais pas vital. " Nous sommes le seul grand producteur d'uranium à disposer d'un portefeuille diversifié ", souligne souvent Anne Lauvergeon, présidente du directoire du groupe, en rappelant que " son " minerai provient aussi du Canada et du Kazakhstan.
Son concurrent Cameco n'en extrait qu'au Canada et l'anglo-australien BHP Billiton reste pour l'heure cantonné à l'Australie. En 2004, les dirigeants d'Areva avaient constaté que le combustible provenant des accords américano-russes de désarmement nucléaire (sous-marins, ogives...) s'épuisaient. En 2007, ils décidaient de diversifier leurs sources d'approvisionnement et de consacrer 4 milliards d'euros (hors acquisitions) au développement du pôle minier en cherchant à acquérir des gisements ou en prospectant directement dans les régions uranifères : Australie, Canada, Namibie, Afrique du Sud, République centrafricaine, Mongolie, Jordanie...
En 2009, Areva a arraché la concession nigérienne d'Imouraren, présentée comme le deuxième plus grand gisement mondial. Cette mine est stratégique, même si Areva n'en a pas besoin pour atteindre son objectif : porter sa production de 6 000 à 12 000 tonnes entre 2007 et 2012, et conserver sa place de premier producteur mondial, décrochée en 2009.
Sécuriser les mines La difficile renégociation du contrat nigérien, en 2008, a montré que le Niger n'est plus la chasse gardée de la France. Les Chinois ont travaillé l'entourage familial du président de l'époque, Mamadou Tandja, mais ils n'ont décroché que des concessions de moindre importance. A Imouraren, Areva ne produira à plein régime qu'en 2014, après y avoir investi 1,2 milliard d'euros. En attendant, cette immense mine à ciel ouvert, située à 80 kilomètres au sud d'Arlit, doit être sécurisée.
" Depuis les enlèvements, le site est totalement déserté et les 600 personnes qui y travaillaient sont rentrées chez elles ", reconnaît-on chez Areva. Le groupe affirme avoir lancé une analyse interne détaillée de la sécurité au Niger. Il a demandé au général Christian Quesnot, ancien chef d'état-major particulier du président de la République (1991-1995), de " formuler des recommandations ".
L'urgence industrielle est de poursuivre en toute sécurité l'exploitation de Somaïr et Cominak, qui ne fonctionnent aujourd'hui qu'avec les travailleurs nigériens. Sur le site, le problème se pose déjà pour l'usine de concassage, de broyage et de transformation du minerai en yellow cake, une poudre d'uranium acheminée vers la France au départ du port de Cotonou (Bénin). " Dans l'usine, il faut l'expertise des ingénieurs et des techniciens français. On risque un arrêt ", indique une source proche du dossier.
Six mois de stocks Areva assure qu'il peut livrer ses clients, les grands groupes d'électricité. " Nous disposons de six mois de stocks, notamment sur le territoire français ", explique un dirigeant. EDF qui est de moins en moins dépendant de son partenaire historique Areva se veut également rassurant : seul 20 % de l'uranium des centrales françaises provient du Niger, indique sa direction.
EDF a diversifié ses approvisionnements dans le cadre de contrats à long terme, d'une durée de sept à quinze ans. Depuis 2004, il s'est tourné vers l'Australie, le Kazakhstan et le Canada. Si cette diversification met EDF à l'abri des aléas géopolitiques, elle ne le prémunit pas contre des accidents d'ordre technique ou géologique : l'inondation de la mine canadienne de Cigar Lake, de Cameco, a retardé son exploitation de plus de cinq ans.
EDF souligne qu'il a aussi sécurisé l'étape importante de la conversion, qui précède l'enrichissement de l'uranium. Enfin, il a constitué des stocks aux différentes étapes du cycle du combustible : uranium naturel, uranium enrichi, assemblages de combustible. " Nous cherchons à éviter d'avoir recours au marché de court terme en cas d'aléas de production dans les mines ou les usines ", précise son document de référence. Une démarche dictée par des exigences de sécurité d'approvisionnement mais aussi par des impératifs de prix.
Jean-Michel Bezat
© Le Monde

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