28/02/2009

Entrer dans l'histoire de l'Afrique

1er mars 2009

Au Niger. Extrait du film " La Captive du désert ". RAYMOND DEPARDON / MAGNUM PHOTOS

L'historien britannique John Iliffe explore le continent, de la préhistoire aux ravages du sida








En soutenant en juillet 2007 à Dakar que " l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire ", Nicolas Sarkozy a réveillé une profonde blessure héritée de la colonisation. Ainsi, seule l'intrusion des Européens sur le continent noir l'aurait précipité dans l'aventure humaine. L'histoire de l'Afrique aurait commencé avec son dépeçage et sa mise en valeur par les Blancs, au XIXe siècle...

Les lecteurs de la somme passionnante de l'historien anglais John Iliffe, publiée pour la première fois en 1995, constateront qu'il n'en est rien. La colonisation, largement décryptée, n'y apparaît que comme un épisode dramatique de l'histoire longue d'un continent " immensément vieux ".

Depuis les australopithèques jusqu'aux malades actuels du sida, l'auteur défend avec passion " une histoire exceptionnelle des populations, qui lie en une histoire unique les tout premiers êtres humains à leurs descendants actuels ".

Une conviction traverse l'exceptionnelle épopée humaine à laquelle il nous convie : la démographie est le fil rouge de l'histoire africaine. Depuis la nuit des temps, les Africains sont " ces pionniers qui ont colonisé une région particulièrement hostile au nom de toute la race humaine ". L'immensité du territoire, le nombre des calamités qui s'y manifestent ont modelé l'organisation des sociétés en fonction d'impératifs intangibles : " Peupler et maîtriser l'environnement. " En découle l'obsession de la reproduction, avec ses corollaires : les cultes de la virilité et de la fécondité, la polygamie.

CONTINENT SOUS-PEUPLÉ

Car, jusqu'à la colonisation européenne, l'Afrique est restée un continent largement sous-peuplé. John Iliffe voit dans cette réalité, qui peut surprendre aujourd'hui, le principal obstacle à l'émergence d'Etats et au progrès économique. En même temps, il décrit avec une érudition époustouflante, appuyée par un pragmatisme très britannique, la première colonisation du continent : celle entreprise par ses propres habitants.

Loin d'être inertes, les " pionniers " africains n'ont cessé de lutter contre leur extraordinaire isolement en développant des royaumes prospères et en commerçant très tôt avec l'Europe et l'Asie.

La transformation d'un esclavagisme interne, séculaire, en traite atlantique aux dimensions industrielles allait alourdir encore les handicaps du continent. Le paroxysme a été atteint au XVIIIe siècle, durant lequel 6 millions d'esclaves furent exportés.

" Féroce ironie ", un continent sous-peuplé exportait ses hommes en échange de marchandises, avec la complicité agissante et pour le plus grand bénéfice de puissants africains. Sans expliquer tous les maux actuels du continent par la saignée de la traite négrière, John Iliffe souligne qu'elle a eu pour conséquence d'interrompre la croissance de la population d'Afrique de l'Ouest, d'accentuer le retard technologique et d'encourager la brutalité. Ce fut " un désastre démographique, mais pas une catastrophe : les Africains survécurent ", résume l'auteur qui, de façon quelque peu ambiguë, considère la souffrance comme " un aspect central de l'expérience africaine ".

De fait les tragédies ne devaient pas manquer par la suite, façonnant une capacité de résistance au malheur qui, aujourd'hui encore, subjugue l'Occidental. L'" invasion coloniale ", dont les ressorts sont subtilement analysés, accumula les effets dévastateurs. Aux ravages de la conquête militaire s'ajoutèrent les colères de la nature. La sécheresse des années 1880-1920 provoqua famines, maladies et violences. La population stagna, voire régressa dans certaines parties du continent.

PARADOXE DÉMOGRAPHIQUE

" Traumatisante mais brève ", la colonisation n'a pas entièrement balayé les traditions et structures africaines, estime Iliffe qui trouve là un autre exemple de l'étonnante " résistance africaine ". Mais les Européens n'ont pas seulement semé l'exploitation et la violence ; ils ont introduit leur modernité économique, leur éducation et aussi leur médecine.

Le spectaculaire rebond démographique enregistré depuis 1950 en serait la conséquence. La population de l'Afrique est passée de 200 millions en 1950 à 600 millions en 1990. C'est évidemment à ce point que se noue le paradoxe démographique soulevé par cet ouvrage. Si un sous-peuplement millénaire a pu expliquer le retard du continent, le décollage brutal de sa population n'a manifestement pas permis d'inverser la tendance.

Car d'autres mécanismes, de nature économique, sont à l'oeuvre. John Iliffe analyse la destruction dans les années 1980, sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, des structures étatiques, notamment sanitaires, qui avaient garanti un minimum de paix sociale. Cette stratégie, s'ajoutant à l'instabilité née de la fin de la guerre froide, a produit deux décennies de déchirements violents dont le continent sort à peine. La prochaine édition de ce livre de référence comportera sans doute un chapitre supplémentaire analysant la manière dont les Africains auront manifesté leur éternelle résistance à la nouvelle épreuve en cours : la crise économique mondiale.

Philippe Bernard

Les Africains Histoire d'un continent de John Iliffe

Flammarion, " Champs Histoire ", 704 p., 12 ¤.

© Le Monde

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