01/01/2009

De l'aide charitable à la dette écologique

Sans doute des avancées importantes mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Y arriverons-nous avant qu'il ne soit trop tard ? That is the question ! Elle n'est pas banale !!!


2 janvier 2009 l
Analyse




Méfiez-vous de l'eau qui dort. La conférence des Nations unies sur le climat, qui s'est tenue en décembre à Poznan, en Pologne, devait être une conférence de transition. Dans l'attente de la nouvelle administration de M. Obama, qui marquera en 2009 le retour des Etats-Unis sur la scène de la diplomatie climatique, les sujets traités devaient être " techniques ", c'est-à-dire n'engageant pas de décision de fond. Mais un thème s'est imposé par surprise dans les discussions, celui des finances. Il a des implications énormes et touche au coeur même de ce qui est en jeu dans ces négociations engagées depuis 1992, avec la convention sur le changement climatique signée à Rio de Janeiro : quel nouveau partage des responsabilités, et donc quelle économie mondiale, implique la nécessité de gérer à l'échelle planétaire les soubresauts possibles de la machine climatique ?

A la base, ce constat : même si l'on parvient dans l'avenir à limiter le changement climatique, il n'en est pas moins à l'oeuvre et va faire sentir de manière croissante ses conséquences négatives - d'abord et principalement sur les pays tropicaux. Or ceux-ci sont le plus souvent en voie de développement et manquent de moyens pour s'adapter. Ils ne sont par ailleurs pas responsables du désordre climatique, puisque celui-ci résulte, selon l'interprétation scientifique dominante, des gaz à effet de serre émis par les pays riches depuis la révolution industrielle du XIXe siècle - même si les pays émergents ont depuis quelques années des émissions très significatives. Il est donc juste que les pays riches contribuent financièrement à aider les pays pauvres à s'adapter.

Tout le monde est d'accord sur ces principes. Ils ont conduit à la mise en place d'un Fonds d'adaptation, financé par un prélèvement de 2 % des recettes générées par le mécanisme de développement propre (MDP). Celui-ci est un dispositif du protocole de Kyoto permettant à une entreprise d'un pays du Nord de gagner des " crédits d'émissions de gaz carbonique " en réalisant dans un pays du Sud un projet réduisant des émissions de gaz à effet de serre. Ces crédits seront valorisés sur le marché du carbone, en cours de constitution à l'échelle mondiale.

Une première passe d'armes entre pays occidentaux (et le Japon) et pays du Sud a porté sur le contrôle du Fonds d'adaptation. Elle s'est conclue en deux temps par la victoire du Sud : à Bali, en 2007, ils ont obtenu d'être nettement majoritaires dans l'organe de commande du fonds. Puis à Poznan, ils ont reçu l'assurance que les Etats bénéficiaires auraient un " accès direct " aux crédits que le fonds dispensera. Autrement dit, ces Etats n'auront pas à passer par des intermédiaires tels que Banque mondiale ou tout autre organisme mis en place par les " bailleurs de fonds ". L'intermédiaire est en principe chargé de veiller au bon usage des crédits - en réalité, son " don " crée une relation de sujétion. Cette victoire signifie que les pays du Sud sont passés de l'état de récipiendaire irresponsable d'une aide dispensée par un donateur généreux mais sévère à la position de personnes récupérant leur dû et le gérant selon leurs souhaits.

On ne saurait surestimer l'importance de cette mutation, qui traduit le renversement de la subordination des nations pauvres par rapport aux riches. Ce qui la rend possible, c'est le fait que l'argent en cause n'est pas un don fait par les pays les plus développés, mais le remboursement d'une dette écologique : par leur développement industriel, les pays du Nord ont lancé le processus du changement climatique, causant des désagréments aux autres et handicapant le développement de ceux-ci. Ils ont ainsi profité du bien commun qu'est l'atmosphère. Ils doivent donc rembourser ce qu'ils ont pris.

UN ENJEU ÉNORME

Dans la mesure où le fonds ne devrait rassembler que des montants modestes (moins de 100 millions d'euros en 2009, et environ 500 millions en 2012, sur la base du prix d'une tonne de CO2 à 15 euros, selon ClimatSphère, n° 14, de la Caisse des dépôts et consignations), cette victoire pourrait paraître symbolique. Mais la partie s'est poursuivie par une deuxième manche, dans laquelle les pays du Sud ont demandé que le prélèvement de 2 % alimentant le fonds ne porte pas seulement sur le MDP, mais sur l'ensemble des marchés du carbone. Ce sont alors des sommes approchant les centaines de milliards d'euros qui échapperaient au contrôle des pays du Nord. C'est bien le montant nécessaire : selon une étude du secrétariat de la convention sur le climat (UNFCCC, " Investment and Financial Flows to Adress Climate Change, an Update ", 2008), " les estimations des flux financiers nécessaires pour l'adaptation restent de l'ordre des dizaines de milliards de dollars, voire des centaines, chaque année ". Pour prendre la mesure de ce chiffre, rappelons qu'en 2005 l'aide publique au développement était de l'ordre de 100 milliards de dollars.

Des sommes considérables, versées de facto par les pays du Nord et sur lesquelles ceux-ci n'auraient qu'un contrôle partiel : l'enjeu est énorme. Il sera au coeur de la conférence de Copenhague, fin 2009. Il concrétise ce qui émerge progressivement du changement climatique lui-même et de la négociation internationale à laquelle il donne lieu : la restructuration de l'ordre économique mondial.

A Poznan, les Occidentaux - en fait, les Européens, en l'absence des Etats-Unis - ont répondu non aux pays du Sud sur l'extension du prélèvement de 2 % sur les marchés du carbone. On ne peut préjuger de l'attitude des Etats-Unis ni des Européens d'ici à un an, mais les diplomates laissaient entendre que cette revendication pourrait être satisfaite, sous condition d'un accord global impliquant un engagement de réduction des émissions par les pays émergents.

Indépendamment de ce principe politique global, deux éléments compliquent la discussion. D'une part, la corruption et l'évasion fiscale, qui minent déjà l'efficacité de l'aide au développement, devront être maîtrisés d'une manière ou d'une autre, alors même que le système financier est totalement fragilisé depuis l'éclatement de la crise à l'été 2007. La création de flux financiers basés sur une monnaie virtuelle, le crédit carbone, induit ici des problèmes nouveaux et énormes. D'autre part, les pays du Sud font face au défi d'une gouvernance collective dont ils n'ont pas vraiment l'expérience. Vouloir se substituer aux maîtres du jeu économique est une chose ; en assumer efficacement les responsabilités en est une autre.

Hervé Kempf

Service Planète

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