18 juillet 2009
Pour le directeur de la division Afrique de la Cnuced, la crise alimentaire devient chronique
ENTRETIEN
Après les années de la planification et celles des programmes d'ajustement structurels sous la houlette des bailleurs de fonds, les pays les plus pauvres doivent " réinventer " leurs Etats respectifs pour fabriquer un nouveau modèle de développement.
C'est la proposition centrale du rapport 2009 de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) sur les pays les moins avancés (PMA), publié jeudi 16 juillet. Elle est défendue par le Malien Habib Ouane, directeur de la division Afrique de l'institution
Redoutez-vous des effets accrus de la crise dans les pays les plus pauvres ?
Sous l'effet conjugué des baisses de la demande globale dans le monde, des cours des matières premières et des flux d'investissements directs étrangers qui ont déjà chuté de 20 % en 2008, les pays les plus pauvres vont souffrir encore plus.
La diminution des transferts financiers des travailleurs immigrés, qui devraient atteindre 7 à 8 % en 2009, nous préoccupe aussi. Cela aura des conséquences sur le panier de la ménagère, mais aussi sur les performances en matière de réduction de la pauvreté, car 15 % de ces sommes sont consacrés à des programmes d'investissement.
Vous insistez sur la nécessité de repenser l'Etat dans les pays les plus pauvres. Pourquoi ?
Il faut réinventer l'Etat dans ces pays mais pas pour les mêmes raisons que dans les pays du Nord qui avaient délibérément donné plus d'importance à la sphère privée.
Les pays les plus pauvres ont été contraints de se dessaisir de leurs responsabilités à la faveur des programmes d'ajustements structurels. Nous proposons, non pas de revenir à la planification centralisée que certains ont connue au début des années 1960, mais que l'on remette l'Etat au coeur des politiques de régulation et de stimulation de la croissance, à travers des programmes d'investissement publics ciblés. Cet Etat " développementiste " doit se donner pour mission de promouvoir la création d'un secteur privé significatif et efficace, notamment dans le secteur agricole. Il y a un potentiel inexploité dans ces pays qui passe par une réappropriation des ressources et la création de recettes, notamment fiscales. Il est possible de taxer davantage les activités minières par exemple.
La crise alimentaire devient-elle chronique dans les PMA ?
Les poussées inflationnistes récurrentes sur les marchés à terme, telles qu'elles viennent encore récemment de se produire, laissent craindre que la crise alimentaire s'installe durablement. Surtout, l'agriculture a été abandonnée tant par les gouvernements que par les bailleurs. Cette transmission perverse des priorités entre les uns et les autres n'est d'ailleurs pas étonnante, les gouvernements se sentant souvent obligés de coller aux demandes des donateurs pour paraître bons élèves. Un pays comme le Mozambique consacre aujourd'hui moins de 4 % de son budget à l'agriculture, contre 12 % à la bonne gouvernance et au système judiciaire !
L'accaparement de terres cultivables par des groupes étrangers, notamment en Afrique, vous inquiète-t-il ?
Il serait regrettable que des capitaines d'industrie étrangers viennent investir les meilleures terres de ces pays pour produire des biens qui seraient exportés, compromettant ainsi l'accès à des ressources vitales, foncières, hydrauliques et écologiques. Nous proposons que les institutions comme l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) édictent des règles du jeu en vue de protéger les petits producteurs. Nous devons préserver la durabilité de l'agriculture. Faute de quoi on risque d'assister à l'augmentation des flux migratoires sauvages.
Propos recueillis par Brigitte Perucca
© Le Monde
Sur 49 " pays les moins avancés ", 33 sont en Afrique | |
Etablie par les Nations unies selon le revenu par habitant, un indice composite fondé sur la malnutrition, la santé, la scolarisation et la vulnérabilité économique, la liste des pays les moins avancés en comporte 49 dont 33 sont situés en Afrique subsaharienne, 10 en Asie, 5 dans le Pacifique et un dans les Caraïbes. Le produit intérieur brut par habitant de ces pays est inférieur à 527 euros. La population des PMA devrait atteindre 1,3 milliard d'habitants en 2030, contre 670 millions en 2000. |